Talent Management : comment SUEZ anticipe les métiers de demain et développe les compétences au cœur de l’entreprise ?
Pourquoi les compétences occupent-elles une place aussi centrale dans votre modèle RH ?
Notre activité est organisée autour de la gestion de projets. Nous concevons et réalisons des projets d’infrastructures de traitement d’eau et de déchets dans le monde. Pour cela, nous nous appuyons sur des Centres de Compétences situés à Paris, Bilbao, Milan, New Delhi, Sydney et Manille. Notre cœur de métier consiste à réunir les bonnes compétences au bon moment. Notre avantage compétitif tient autant au niveau d’expertise de nos équipes qu’à leur capacité à agir collectivement et à s’adapter aux évolutions de projets.
L’une de nos premières responsabilités est d’aligner la courbe des compétences sur celle de notre plan stratégique, tout en la renforçant. Recruter les meilleurs talents ne suffit pas si l’écosystème d’apprentissage et de partage n’est pas solide, ou si la stabilité des équipes n’est pas assurée. Animer les talents, c’est aussi gérer l’engagement : l’apprentissage naît avant tout de la responsabilisation, de la continuité et de l’envie d’évoluer, bien plus que de formations ponctuelles.
On parle beaucoup du passage du “capital humain” au “capital skills”. Que signifie concrètement ce changement de paradigme pour votre stratégie RH chez SUEZ ?
Nous sommes un “people business”, c’est-à-dire une entreprise dont la valeur repose avant tout sur les femmes et les hommes qui la composent. Passer du “capital humain” au “capital skills", c’est apprendre à piloter nos compétences avec finesse : les cartographier, les faire évoluer en continu et en assurer leur transmission dans la durée.
Ce changement de paradigme traverse l’ensemble de la chaîne RH. Il nous conduit à repenser nos critères de recrutement, en cherchant des profils non seulement qualifiés, mais aussi capables de développer les soft skills indispensables à l’agilité et à la transformation de l’entreprise. Dans le même temps, il nous pousse à renforcer la fidélisation, en cultivant un environnement propice à l’apprentissage continu et à l’épanouissement professionnel.
Dans un marché tendu, quels sont les facteurs clés de rétention des talents critiques, ceux qui détiennent un savoir stratégique et le transmettent aux autres ?
La reconnaissance de l’expertise, la valorisation du partage des connaissances, une animation RH de proximité et des avantages adaptés sont des leviers clés. Mais la rétention repose aussi sur le sens du travail : nos experts sont animés par la portée sociétale de leurs missions. Cette dimension nourrit leur motivation et leur engagement sur le long terme.
Nous mesurons d’ailleurs, chaque année, le niveau d’engagement de nos collaborateurs et, en 2024, nous avons même mené une enquête spécifique sur la santé mentale. Ces dispositifs traduisent une dynamique d’amélioration continue. Nous allons encore la renforcer avec le déploiement d’un accord QVCT signé au niveau du Groupe, enrichi d’initiatives propres à nos métiers.
Avec le Skill Up Program, vous préparez vos collaborateurs à développer leurs compétences et à évoluer dans un environnement complexe. Quelles étaient vos motivations initiales et quels résultats avez-vous observé à ce stade ?
Le Skill Up Program repose sur deux objectifs majeurs :
Le premier vise à créer une culture métier commune à travers un programme dense de 25 modules conçus par nos meilleurs experts internes. L’idée est d’harmoniser la compréhension de nos activités auprès de profils très variés, qu’il s’agisse de nouveaux arrivants ou d’experts issus d’autres domaines.
Le second consiste à développer un réseau d’apprentissage, en formant des groupes de dix collaborateurs parrainés, sans distinction de niveau. Nous souhaitons activer le fameux “20 %” du modèle 70-20-10, c’est-à-dire la formation par les pairs : savoir où se trouve la compétence, oser questionner, apprendre ensemble. Ce réseau devient un tremplin pour favoriser la mobilité interne.
Le programme s’ouvre avec un module intitulé « Comment évoluer dans un monde VUCA », qui éclaire les enjeux de la volatilité, de l’incertitude, de la complexité et de l’ambiguïté, autant de réalités auxquelles nos collaborateurs sont quotidiennement confrontés.
Comment accompagnez-vous vos collaborateurs dans leur montée en compétences (upskilling, reskilling, formation continue) ?
Nous déployons des formations en lien avec les entretiens professionnels, qui permettent d’identifier les besoins et de définir les actions de développement individuelles avec la direction Learning. Certaines initiatives ciblent des populations spécifiques. Je pense, entre autres, à une Academy mondiale dédiée à nos Project Managers, adossée à un référentiel et à des évaluations régulières ; ou encore des formations conçues pour nos experts, centrées sur leur développement personnel et sur la transmission de leurs savoirs.
Toutefois, je suis convaincu que la première source d’apprentissage reste le poste lui-même. Le rôle du manager y est déterminant : en responsabilisant, en donnant du feed-back, en reconnaissant le droit à l’erreur et en fixant des objectifs ambitieux mais atteignables, il nourrit la motivation et favorise la progression des équipes.
Quels dispositifs favorisent aujourd’hui la mobilité interne et l’évolution professionnelle au sein de vos équipes ?
Nous bénéficions de dispositifs Groupe structurants : des comités de mobilité en France et à l’international, un accompagnement RH de proximité et une forte impulsion du top management. En France, par exemple, nous avons réuni l’ensemble des collaborateurs intéressés par une mobilité professionnelle à l’international afin d’échanger sur les conditions et les leviers d’une expérience réussie, en présence du Directeur général de l’International.
Au sein de notre direction, nous organisons des comités staffing à fréquence régulière pour anticiper la mobilisation des compétences sur nos projets à venir. Nos grands projets appellent souvent des mobilités ciblées, et nous encourageons tout particulièrement la mobilité internationale, accélérateur de développement : 80 % de mon comité de direction a déjà travaillé à l’étranger.
À horizon 2030, quelles seront selon vous les compétences stratégiques (techniques, digitales et humaines) qui redéfiniront vos métiers ?
Prévoir au-delà de trois ans reste complexe dans un environnement en mutation rapide et incertain. Le digital, et plus encore l’IA, vont accélérer cette transformation.
Nous devons agir sur deux leviers. D’abord, renforcer les soft skills, en développant la prise d’initiative, la curiosité, la coopération et la capacité à apprendre ou à désapprendre. Ensuite, créer un environnement propice à la transmission, à travers des formations digitales en libre accès et des événements de partage d’expérience. Par exemple, chaque mois, nous organisons des Insight Breaks de 30 minutes. Il s’agit de moments d’échanges et de retours d’expérience sur des projets ou une activité, ouverts à tous.
Quel conseil donneriez-vous à vos pairs DRH qui souhaitent transformer leur organisation vers un modèle centré sur les compétences et l’agilité des parcours ?
Je leur dirai de partir de la culture, avant les processus et les outils. Chez SUEZ, nous avons développé une réelle culture du partage du savoir et des compétences, ancrée dans notre histoire. Dans les années 60, Degrémont avait conçu un mémento diffusé dans les universités : il est devenu une référence mondiale dans le domaine du traitement de l’eau.
Notre différenciation ne tient pas à la technologie seule, mais à notre capacité à coopérer, à apprendre ensemble et à agir collectivement. Ajoutez à cela une culture de la responsabilité, le droit à l’erreur, et vous créez les conditions d’un apprentissage durable.
Pour aller plus loin, retrouvez Pierre Tafani lors de la table ronde “Talent Management : comment mesurer, valoriser et actualiser continuellement votre capital skills ?”.
*https://reports.weforum.org/docs/WEF_Future_of_Jobs_2025_Press_Release_FR.pdf
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